PRISME travaille à la réalisation de deux bases de données bibliographiques : La première, Sciences et Action Sociales, constitue la base mutualisée du réseau. La deuxième, Thesis, est dédiée à la sélection et à l'indexation de thèses en travail social. Elle est le fruit d'un partenariat avec le CNAM-CDFT.
Article de Ingrid Tucci, Aurélie Peyrin, Marie Plessz
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 7-34.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Recherche, Sociologie, Science, Épistémologie, Méthode quantitative, Échantillon, Analyse de la pratique, Approche historique, Typologie, Concept, Méthode qualitative
Bien que la combinaison des données et des méthodes quantitatives et qualitatives soit largement pratiquée par les sociologues français, elle a rarement fait l’objet de publications méthodologiques dédiées. En revanche, la littérature anglophone a vu émerger un champ spécifique, celui des « Mixed Methods Research », structuré autour de discussions et propositions méthodologiques. Cette introduction explore dans un premier temps la genèse et la structuration du champ MMR anglophone, en mettant en lumière les principales propositions de formalisation ainsi que les différentes façons d’articuler données quantitatives et qualitatives à chaque étape de la recherche. Elle aborde également les critiques récentes portant sur la standardisation des protocoles et la notion même d’intégration des données. Elle présente dans un second temps l’ensemble des contributions qui composent ce numéro thématique, illustrant non seulement la créativité des combinaisons quanti-quali en France mais aussi la richesse des discussions réflexives sur les manières de faire et les effets de ces articulations entre données et matériaux différents sur les connaissances produites.
Article de Romain Delès, Marie Clémence Le Pape, Elise Tenret
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 223-246.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Méthode, Enquête, Recherche, Temps
Par la récolte de matériaux hétérogènes, issus de méthodes différentes, les enquêtes par méthodes mixtes s’exposent davantage à une opération sensible : celle d’avoir à traiter des données discordantes, dont l’interprétation ne va pas de soi. Pourtant, la littérature classique sur les méthodes mixtes et les designs qu’elle propose semble en faire peu de cas et laisse à penser que l’articulation des méthodes se fait le plus souvent de manière harmonieuse. Prenant le contrepied de ce postulat, cet article présente deux exemples d’enquête mixte dans lesquelles les données issues des différentes méthodes se sont avérées conflictuelles. Le récit des difficultés à les intégrer permet de mettre en évidence l’heuristique des discordances. Dans les deux cas, une analyse des incohérences et des contradictions – qui ne cherche pas nécessairement à les éliminer – s’est avérée utile pour mieux comprendre les faits sociaux étudiés.
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 201-222.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Classe sociale, Épistémologie, Ethnographie, Traitement statistique, Méthode qualitative, Méthode quantitative
Cet article montre que, pour monter en généralité à partir d’une enquête de terrain, il existe un autre usage des statistiques que celui consistant à déterminer, quand des données quantitatives le permettent, si des résultats de cette enquête sont généralisables ou non à une population donnée. Il met en lumière un mode d’articulation des méthodes qui vise à penser ensemble les conclusions de l’induction ethnographique et de la recherche, par la voie statistique, des cas les plus proches des cas étudiés. En précisant les cas auxquels des résultats d’une enquête de terrain pourraient être transférables, les statistiques peuvent constituer un appui pour l’induction ethnographique. L’article montre que cette démarche est riche d’apports. S’agissant des catégories auxquelles l’ethnographe rattache les cas qu’il ou elle analyse, cette démarche peut en effet permettre de substituer à des catégories préconstruites des catégories élaborées progressivement à partir des cas étudiés. Elle peut ainsi conduire à revisiter des catégories d’analyse et à en avancer de nouvelles. Cet article présente la mise en œuvre et l’intérêt de cette combinaison des méthodes à partir d’une recherche sur les agent·es immobiliers qui contribue à la sociologie des « cols blancs du commerce ».
Article de Claire Bidart, Lorraine Bozouls, Léo Joubert, et al.
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 91-128.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Méthode, Recherche, Famille, Rôle social, Relation, Lien social, Confinement
À partir de l’étude des effets des confinements lors de la pandémie de la Covid-19 sur les relations interpersonnelles, cet article discute l’apport des méthodes mixtes à une sociologie des liens sociaux en temps de crise. S’appuyant sur les deux premières vagues de l’enquête « La vie en confinement » (« VICO ») et sur 90 entretiens, cet article montre les manières possibles de combiner les matériaux, les méthodes et les résultats. Il prend pour objet l’analyse des dégradations relationnelles, et pointe les limites des analyses géométriques qui invisibilisent la pluralité des profils relationnels. Sur le plan analytique, les entretiens complètent les résultats sur les dynamiques et les temporalités qui sous-tendent les dégradations. Sur le plan empirique, le matériau qualitatif enrichit la base des relations issue de l’enquête par questionnaire. Les transferts et combinaisons entre les données et les méthodes permettent d’éclairer le lien entre les rôles relationnels et les formes de dégradations.
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 71-90.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Handicap-Situations de handicap, Handicap, Inégalité, Traitement statistique, Recherche, Scolarité, Méthodologie, Statut social, Enfant handicapé, Migration, Genre
Cette contribution expose les apports d’un cycle itératif de recherche combinant plusieurs sources et techniques d’analyse pour étudier le rôle du handicap dans la distribution des places sociales en France. Initialement, l’exploitation d’une enquête statistique nationale devait permettre de mesurer les écarts de positions sociales entre personnes handicapées et valides, et les entretiens biographiques d’identifier, ensuite, les mécanismes sous-jacents à ces différences. Cependant, au fil de l’étude, cette division méthodologique des objectifs de recherche a été reconfigurée : les résultats qualitatifs ont offert des éclairages imprévus sur les premiers résultats statistiques, incitant à de nouvelles analyses quantitatives, et inversement. Les processus itératifs, illustrés par deux exemples de construction de résultats sur les inégalités scolaires, ont permis d’élaborer une grille d’analyse intégrant le handicap parmi d’autres systèmes d’inégalités (classe sociale, genre, migration, race) et rendant compte des interactions entre eux selon trois dimensions transversales : ressources matérielles, assignations identitaires et auto-identifications.
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 1-2, vol. 65, janvier-juin 2024, pp. 35-70.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Santé-Santé publique, Santé, Santé mentale, Parcours professionnel, Récit de vie, Genre, Travail des femmes, Mère, Travail à temps partiel, Identité sociale
Les périodes d’inactivité professionnelle liées aux maternités continuent de marquer de nombreux parcours de vie féminins. Cet article utilise une méthodologie mixte pour explorer leurs relations avec la santé des mères aux âges élevés. En utilisant les données de l’enquête « Santé itinéraire professionnel » (« SIP ») (2006-2010), il identifie sept types de trajectoires d’emploi entre 18 et 50 ans ainsi que leur association avec des inégalités de santé chez les mères après 50 ans. Les sorties définitives précoces et les interruptions longues avec retour à temps partiel sont associées à une moins bonne santé mentale. La situation conjugale influence également les relations entre certaines trajectoires et la santé mentale. L’analyse de 30 récits de vie éclaire ensuite des processus possibles derrière ces associations statistiques, liés aux conditions du retour en emploi des mères ayant connu des interruptions, à leurs marges de manœuvre vis-à-vis de l’emploi en fin de carrière, et à leurs supports d’identité sociale.
Enrôlés dans la promotion du marché concurrentiel, de l’entreprise compétitive et de la financiarisation, le droit et la justice sont au cœur du néolibéralisme. Ce dossier prend pour objet un processus moins documenté : la façon de dire le droit et de réguler du pouvoir étatique est devenue un objet de négociations et de transactions marchandes que les politiques publiques encouragent.
Les États commercialisent une fraction de leur souveraineté juridique. Des traités d’investissement remettent en cause le « droit de réguler » afin de construire un climat favorable aux détenteurs de capitaux étrangers ; des formes de transaction permettent aux grandes entreprises de négocier leurs peines et d’éviter le procès pour fraude et corruption ; la promotion d’une « culture de l’innovation » offre aux entreprises étrangères un statut juridique et fiscal dérogatoire ; enfin, des compétences régaliennes, comme l’attribution de visas, sont octroyées en contrepartie d’investissements.
Certes, la souveraineté juridique n’a jamais atteint la pureté du modèle du monopole. Le droit de dire le droit a toujours été un champ de luttes dont les organisations étatiques ne sont qu’une partie des acteurs. Pour autant, la façon dont le pouvoir règlementaire et le pouvoir de justice se trouvent redéfinis dans leurs conditions d’exercice a été peu étudiée. Ce dossier décrit les contours d’une puissance publique qui s’ajuste aux conditions néolibérales, en élargissant l’espace de négociation des règles du droit au cœur même de l’État.
- Le négoce de la souveraineté juridique / Benjamin Lemoine, Antoine Vauchez
- Les affaires publiques d’une entreprise privée : Airbnb et l’orchestration d’un militantisme mercantile / Julie Gervais
- Une justice privée ? L’arbitrage et la construction d’un espace marchand international (1920-1960) / Claire Lemercier, Jérôme Sgard
- Citoyenneté à vendre : Stratégies de marchandisation de l’État / Kristin Surak, Traduction d’ Antoine Heudre
- Quand le capitalisme négocie ses peines : Genèse de la justice négociée pour les entreprises / Thomas Angeletti
- Corps privés, intérêts publics : Élites politico-administratives et formation d’une morale managériale d’État / Jana Vargovčíková, Antoine Vauchez
- Hommage à Patrick Champagne (1945-2023) / Dominique Marchetti
Paru dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, n° 250, décembre 2023, pp. 20-37.
Mots clés : Justice-Délinquance, Prison, Temps, Vie quotidienne, Contrainte
L’attente en prison naît des innombrables situations où l’accomplissement par les prisonniers de tâches ordinaires nécessite l’autorisation ou la coopération des autorités pénitentiaires. Le quotidien carcéral se trouve rythmé par ce temps vide de l’attente, dont l’administration revendique la maîtrise. Il a souvent été avancé que cette vacuité du temps pénitentiaire venait marquer l’échec, ou le remplacement, du projet disciplinaire décrit par Michel Foucault. La prison se réduirait alors à sa seule fonction de neutralisation de populations à risque. L’objet de cet article est pourtant de montrer que l’attente devient à son tour un support d’injonctions disciplinaires à bien attendre, construisant l’impatience comme une déviance morale à corriger et marquant ainsi la survivance d’un projet disciplinaire amoindri mais toujours structurant, qui cible tout particulièrement un public de jeunes hommes issus de milieux populaires. Plus qu’à être productif, la prison contemporaine prétend leur apprendre à attendre, et ce non seulement dans le cadre carcéral mais aussi dans les relations à d’autres institutions, notamment étatiques.
La littérature sociologique consacrée à l’hôpital, et plus particulièrement aux services d’urgences, a depuis longtemps documenté l’existence d’un tri des patient·es, qui a pour fonction de les faire attendre ou non, en vue de les inclure vers la filière de soins appropriée à leur état. À partir d’une relecture de journaux de terrain au prisme d’une sociologie politique de l’attente, nous proposons ici d’appréhender les filières de soins comme autant de files d’attente pour l’accès aux soins d’urgence, mais également de penser le tri comme un dispositif de gouvernement de/par l’attente. Nous montrerons ainsi que ce dispositif produit des files d’attente différentes et socialement stratifiées ayant chacune sa politique du tri dont les contours se définissent dans sa relation avec les autres. Une statistique « armée » par l’ethnographie révèle que les disparités repérées sont le signe d’une qualité de soin variée selon les files d’attente, celle-ci étant appréciée à l’aune du temps d’attente. Sa mesure ethnographique permet de dévoiler in fine l’existence d’un accès aux soins d’urgence à plusieurs « vitesses sociales ».
Paru dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, n° 250, décembre 2023, pp. 80-97.
Mots clés : Territoire-Logement, Logement social, Demande, Temps, Administration, SDF
Cet article s’intéresse au rôle des administrations dans la mise en œuvre du droit au logement et dans la distribution inégale des chances et des délais d’attente pour l’accès au logement social. À l’image de ce que l’on observe depuis plusieurs années à l’entrée de l’enseignement supérieur, le placement des candidat·es au logement social s’opère aujourd’hui dans un champ toujours plus segmenté : diversification des filières, foisonnement de labels et de critères de priorisation, développement d’« itinéraires bis » pensés comme temporaires, multiplication des dispositifs d’accompagnement, etc. À l’appui d’un suivi statistique de 696 familles sans domicile hébergées à l’hôtel à Paris, cette enquête montre que l’inflation des labellisations « prioritaires » a engendré une spécialisation et une hiérarchisation entre les files d’attente dites « prioritaires » à l’entrée du parc social. Elle révèle de surcroît que toute sortie de la file d’attente se paye au prix d’une relégation durable dans la compétition. L’auto-élimination des candidat·es enregistre en premier lieu le poids exorbitant du capital économique dans le tri des prétendant·es. Elle affecte singulièrement les familles sans domicile les plus éloignées de l’emploi, mais aussi celles qui détiennent un petit capital social leur permettant de trouver d’autres portes de sortie chez des tiers ou dans le parc privé. L’article met, par ailleurs, en évidence le poids des stratégies de placement élaborées par les agent·es du guichet qui appartiennent, dans leur grand majorité, aux classes moyennes salariées du public. Les délais d’attente sont prescrits aux candidat·es en fonction d’attendus moraux mais aussi de stéréotypes sociaux. Pris dans leur ensemble, ces mécanismes de tri contribuent à la stratification interne aux classes populaires et à la redistribution inégalitaire dans l’espace résidentiel d’individus partageant pourtant, initialement, un certain degré de proximité sociale.