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Vieillard sous bonne garde : Réparer l'irréparable en maison de retraite

Type de fiche
Livre
Auteur(s)
Gérard Rimbert
Editeurs
Editions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges
Collection
Champ social
Date de publication
2011
isbn
9782914968843
Pagination
260 p.
Etiquettes de collation
bibliographie
Mots-clés Prisme
Dépendance, Personne âgée, Établissement pour personnes âgées, Maison de retraite, HISTOIRE, Vie quotidienne, Famille, Gérontologie, Employé, Professionnalisation, Compétence professionnelle, Bénévolat, Valeur, Enquête
Présentation de l'éditeur

Au cours des années 1960, alors que s'accentue en France l'exigence d'humanisation des pratiques d'accompagnement de la dépendance, les résidents des maisons de retraite, de plus en plus âgés et dégradés, sont aussi de moins en moins aptes à manifester leur «humanité». Pour échapper à l'image du «mouroir», les établissements mettent en valeur les vieillards les plus présentables, les autres étant, de ce fait même, disqualifiés. Cette organisation contribue à hiérarchiser les tâches et les personnels, distribués entre façade et zone d'ombre. Les tâches d'entretien des relations interpersonnelles et des statuts sociaux s'opposent à celles qui relèvent du simple gardiennage des corps, d'où une hiérarchie au sein du personnel superposable à celle entre «bons» et «mauvais vieux».
Tenus de réparer l'irréparable, c'est paradoxalement en s'opposant aux règles «humanistes» de l'institution que certains employés des maisons de retraite adoptent des postures réparatrices. La professionnalisation du milieu gériatrique repose, de fait, sur des compétences techniques, mais aussi sur des dispositions morales (comme celles des bénévoles des petits frères des Pauvres). Jouant de l'observation discrète autant que de la participation, confrontant les pratiques les plus refoulées aux discours les plus enchantés, cette enquête sociologique démonte les mécanismes d'une vieillesse à plusieurs vitesses et aide à comprendre ce que signifie au quotidien l'exigence d'endiguer l'irréversible.
Après une thèse en sociologie, Gérard Rimbert a enseigné à l'université de Limoges puis mené des recherches sur la souffrance au travail et sur les SDF toxicomanes. Membre associé du Centre de sociologie européenne, il est expert en risques psychosociaux au sein du cabinet Technologia.

Extrait de l'introduction

Dans ses Instructions aux domestiques, Jonathan Swift écrit à l'intention des femmes de chambre : «La nature de vos devoirs change selon la qualité, la superbe ou la richesse de la dame chez qui vous servez.» Pour les personnes âgées dites «dépendantes» et vivant en maison de retraite, que seraient alors les devoirs domestiques du personnel ? Pour y répondre, cet ouvrage compare deux formes d'accompagnement de la dépendance : celle de la maison de retraite privée, médicalisée, hébergeant une population considérée comme très dépendante, et en contrepoint celle d'un accueil provisoire sur un lieu de vacances géré par des bénévoles.
En s'inspirant des travaux de Jean-Pierre Faguer, on propose d'appeler crise biographique l'état des personnes qui connaissent un accident de parcours (professionnel, scolaire, physiologique, amoureux) ou voient décliner certaines de leurs propriétés (intellectuelles, corporelles, réputationnelles). La dépendance des personnes âgées est un cas généralisé et irréversible de crise biographique. Généralisé, car les personnes concernées par ces dispositifs sont confrontées au déclin de presque toutes leurs propriétés (dans la famille, le logement, les loisirs ou la santé). Irréversible, car ce déclin n'est pas conjoncturel ni passager ; il est définitif. Dans quelle mesure la capacité de se poser en réparateur des dégâts occasionnés par le vieillissement physiologique et social influence-t-elle les formes prises par l'excellence, la domination, la conviction chez les aidants professionnels et bénévoles ? Être quotidiennement confronté aux possibilités limitées de «rémission» oblige à un travail de redéfinition de la vision enchantée fournie par la gérontologie, entendue comme une vision experte occultant le caractère irréversible du déclin des personnes âgées dépendantes. Traitant l'ajustement de ces formes d'accompagnement à l'intérêt des personnes âgées comme une évidence, la gérontologie ne livre pas les instruments nécessaires pour qu'en pratique, les agents réalisent autre chose que «faire passer» la crise. L'objet de cette recherche peut être détaché du domaine d'investigation. Il se réduit à cette question : sur un plan symbolique, comment croire au «sauvetage» quand tout semble perdu ? Sur un plan matériel, comment réparer l'irréparable ?
La thématique de la dépendance a néanmoins une importance particulière. Les prévisions démographiques et médicales laissent entrevoir une augmentation des effectifs de personnes âgées dépendantes. Par ailleurs, le chômage constant des non-diplômés fait du secteur des services à la personne un enjeu important, d'autant plus qu'il s'inscrit dans un projet de dérégulation du marché «fordiste» du travail et qu'il est relativement protégé de la concurrence de producteurs mondialisés. Les deux problèmes sont censés pouvoir contribuer mutuellement à leur résolution : des vieillards de plus en plus nombreux pourraient multiplier les emplois pour les exclus du marché du travail (occultant la question de l'avenir des capacités financières des futurs retraités). Cette proposition résume le paradoxe d'un «principe de respect des personnes âgées» qui se traduirait par une politique en faveur des déclassés du marché du travail, désireux d'accéder à un emploi, mais pas nécessairement celui-là.
Contre l'idée d'une dépendance «déjà là», que l'institution viendrait encadrer sans l'influencer, l'ouvrage est bâti sur l'hypothèse d'un impact des modalités d'accompagnement sur la dépendance.