Certains d’entre nous ont choisi pour métier d’aider, éduquer ou soigner. Cela implique parfois de côtoyer la souffrance, la douleur, comme de connaître quelques déceptions. Au quotidien, malgré les efforts de chacun et la qualité d’une équipe, malgré les progrès promis par la science, quelquefois ça rate, ça échoue, et nos espérances avec. C’est notre bienveillance qui nous fait oublier que ça ne réussit pas toujours, à vrai dire ça ne réussit jamais complètement. Confrontés aux impasses, nos rêves et notre folie des grandeurs – si nécessaires comme soignants ou éducateurs – se trouvent alors accrochés dans les aspérités blessantes de la réalité.

Nous voulons essayer de présenter ici une petite anthologie thématique de ce que l’anthropologie peut avoir à dire des établissements spécialisés du secteur médicosocial. En rappelant tout d’abord que son intérêt pour les entreprises éducatives en France commence, officiellement, par l’étude et la prise en charge du jeune Victor de l’Aveyron, dit l’enfant sauvage, à la fin du XVIIIe siècle, à l’initiative de la récente Société des observateurs de l’Homme (1799-1804) et plus particulièrement d’un de ses membres, Jean-François Itard (1774-1838). Ce dernier décrira dans deux rapports, sous forme de journal, les résultats de sa tentative de socialisation du jeune garçon, relatant les expériences pédagogiques mises en place et restituant, avec honnêteté, toutes ses interrogations quant aux bénéfices, aux échecs et au bien-fondé de cette éducation spécialisée.

La maltraitance institutionnelle ne se réfère pas uniquement aux horreurs régulièrement dénoncées dans les médias. Elle peut se nicher dans les mille petits riens du quotidien qui, si on n’y prend garde, peuvent générer autant de souffrances accumulées. Si nous avons des outils pour lutter contre le pire, comment lutter contre le quotidien banal qui devient automatique ? Éviter de fabriquer la maltraitance, c’est pouvoir interroger les pratiques, se référer à des projets, savoir se situer vis-à-vis des usagers… C’est être formé, encadré, contrôlé quelle que soit sa place dans l’organigramme. C’est aussi, pour les institutions et les tutelles, créer les conditions du bien-être pour les personnels : statuts, conditions de travail, évolutions professionnelles, mobilités… Lutter contre la maltraitance passe par le respect des usagers et de soi-même, plutôt que par le respect d’un protocole.