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À partir d’une enquête par entretien et observation menée auprès d’habitant·es du canton de Genève, en Suisse, cet article étudie le rôle de la musique dans la constitution d’un « pouvoir domestique masculin » et la manière dont ce pouvoir est modulé par la classe et la configuration conjugale. Une première partie révèle les modalités de la domestication de la musique selon le genre et la classe, et dégage trois logiques principales à travers lesquelles les hommes assoient la légitimité de leur pratique d’écoute et sa primauté sur celle de leur conjointe : la défense d’une « passion » pour la musique, la forte intensité de l’écoute (volume, fréquence, attention) et la mise en avant de compétences techniques. Une deuxième partie analyse ensuite la façon dont l’écoute musicale masculine contribue à l’exercice d’un contrôle sur l’organisation spatiale et sonore de la sphère domestique. L’article montre que l’appropriation masculine de l’espace domestique par la musique est plus marquée chez les classes supérieures et dans les couples hétérosexuels caractérisés par une forte distance sociale entre conjoints au profit des hommes.
Article de Rébecca Lévy Guillain, Alix Sponton, Lucie Wicky
Paru dans la revue Revue française de sociologie, vol. 63, tome 2, avril-juin 2022, pp. 311-332.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Entretien, Distance, Méthodologie, Téléphone, Genre, Enquête, Sociologie, Télécommunication
La pandémie de la COVID-19 et la crise sanitaire et sociale qui en a découlé ont encouragé la conduite d’entretiens semi-directifs par téléphone ou par visioconférence. À partir de trois enquêtes réalisées par des jeunes femmes portant sur l’intime et ayant recours aux entretiens biographiques, cette note méthodologique examine les façons dont l’entretien à distance transforme la nature des matériaux collectés et recompose ce faisant le mode de production de connaissances sociologiques. Elle montre que le distanciel renouvelle les profils sociaux accessibles en ouvrant la voie à des configurations inédites. Elle donne également à voir les atouts de ce dispositif pour accéder à l’intériorité du sujet et souligne son potentiel dans les cas où des positions asymétriques entre enquêteur/rice et enquêté·e dans les rapports de pouvoir (en particulier de genre) sont susceptibles d’entraver la relation d’enquête, risquant dès lors d’appauvrir les connaissances produites.
Les termes choisis pour évoquer l’épidémie de Covid-19 révèlent plusieurs types de rapport à cet évènement inscrit dans la durée : les représentations changent selon le genre, l’âge, le diplôme, la catégorie socioprofessionnelle, et selon la position dans la sphère domestique et la confrontation directe à la maladie. À partir de l’exploitation statistique de réponses à une question ouverte posée lors de deux passations d’une enquête portant sur le coronavirus entre avril et juin 2020, sur un même panel, nous mettons en lumière deux rapports très différents à l’épidémie : une relation personnelle qui se rencontre davantage chez les femmes et consiste à appréhender les effets de la maladie à l’échelle de l’espace domestique ou de sa santé individuelle, et une relation politique, plus masculine, qui se situe à une échelle plus globale. Alors que la relation personnelle reste relativement stable, la relation politique est plus fluctuante, et fait l’objet de reformulations successives.
- Santé critique : Inégalités sociales et rapports de domination dans le champ de la santé / Maud Gelly, Audrey Mariette, Laure Pitti
- Valeur sociale des patient·e·s et différenciations des pratiques des médecins : Redécouvrir les enquêtes de Glaser & Strauss, Sudnow et Roth / Anne Paillet
- Grossesses sous contraintes : L’invisibilisation des inégalités sociales de santé dans les procès de néonaticide / Julie Ancian
- Une attention aux « démunis » aveugle au genre : Les juges face aux accidents du travail / Delphine Serre
- Enquête dans deux maternités de la bourgeoisie : ériger des biens ordinaires en biens rares / Maud Gelly, Paula Cristofalo, Clélia Gasquet-Blanchard
- Cahier de luttes : L’urgence de se faire entendre / Collectif inter-urgences
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 59-4, octobre-décembre 2018, pp. 677-705.
Mots clés : Courants de pensée en sciences humaines, Violence, Genre, Homosexualité, Identité sexuelle, TRANSSEXUALISME, Enquête, Groupe d'appartenance
Cet article porte sur les critiques d’une enquête statistique sur les violences de genre subies par les lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT). Au cours de la collecte et dans le questionnaire, des répondant·e·s ont jugé l’enregistrement du genre et de la sexualité problématique, en particulier lorsque ces personnes refusaient de se définir comme femme ou homme, bisexuelle ou homosexuelle, ou se disaient « non-binaires ». Minoritaires, ces critiques ont l’intérêt de mettre en cause le cadre de cette enquête sur les violences, elle-même dénoncée comme violente. L’article distingue deux registres de critique, l’un se donnant pour but la reconnaissance d’identifications minoritaires, l’autre questionnant la catégorisation en tant que telle. Les répondant·e·s critiques sont plus jeunes, plus souvent des femmes, s’identifient plus souvent comme bisexuel·le·s et sont parfois en situation de déclassement. Les critiques peuvent être conçues comme l’expression d’une indétermination à la fois vécue et revendiquée, elles sont portées par des personnes d’autant plus disposées à refuser les assignations dominantes du genre et de la sexualité que celles-ci sont pour elles moins pertinentes et moins pesantes.
La production d’une « noblesse scientifique », à travers les concours scientifiques de l’ENS, et, en amont, pendant les deux ou trois années de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques, produit un ordre scolaire, non seulement social mais aussi sexué. Les mécanismes qui président au maintien de ces bastions de l’élitisme scolaire comme entre-soi bourgeois et masculin sont ici analysés à l’aune de la définition de l’excellence scolaire qui y a cours, à partir d’une enquête par questionnaire conduite auprès de 2 270 élèves de classes préparatoires scientifiques. Dans ces classes, les caractéristiques du bon élève de lycée ne constituent que des conditions nécessaires de la réussite scolaire, non des conditions suffisantes. Ces dernières sont alors à trouver dans un ensemble de qualités naturalisées esquissant une idéologie du don. Celle-ci se voit intériorisée par les élèves et l’urgence scolaire caractéristique des CPGE la justifie sous couvert de l’impliquer.
Article de Claire Scodellaro, Jean Louis Pan Ké Shon, Stéphane Legleye
Paru dans la revue Revue française de sociologie, n° 58-1, janvier-mars 2017, pp. 7-40.
Mots clés : Jeunesse-Adolescence, Santé mentale-Souffrance psychique, Trouble du comportement alimentaire, Anorexie, Boulimie, Santé mentale, Âge, Sexe, Classe sociale, Fille, Corps, Enquête, Estime de soi, Stress, Genre
Les troubles de santé mentale questionnent implicitement et de façon singulière les tensions du monde social. L'anorexie mentale et la boulimie, deux troubles du comportement alimentaire, sont appréhendées ici comme des révélateurs de tensions sociales touchant particulièrement des jeunes filles, et plus souvent de classes moyennes ou aisées. Pourquoi ces trois caractéristiques structurantes de la position sociale - sexe féminin, milieu aisé et "jeune" âge - , interprétables en termes de rapports sociaux, sont-elles étroitement imbriquées dans ces syndromes ? Leur configuration dans les troubles du comportement alimentaire est atypique parmi les inégalités d'état de santé qui se manifestent habituellement au détriment des populations modestes et âgées. L'examen sociologique de ces troubles du comportement alimentaire montre que leurs soubassements ne reposent pas sur une conformation excessive aux normes et aux valeurs attendues des jeunes filles des classes aisées, mais davantage sur un "usage pathologique" des normes d'excellence, en réponse aux tensions plus souvent rencontrées à cet âge.
Ce travail porte sur la littérature américaine sur les violences conjugales. Plusieurs grandes enquêtes ont été menées par des chercheur-e-s aux orientations théoriques différentes (violences familiales versus violence contre les femmes), et les résultats de ces enquêtes ont fait l’objet de débats. Cette revue de littérature entend restituer ces débats – sur la symétrie de genre et la bidirectionnalité des violences, sur leur définition, sur leur étiologie, sur leur traitement pénal – afin de contribuer à la construction de l’objet « violences conjugales ». La réprobation que suscitent ces violences constitue un objet d’analyse en soi.